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En tant qu’Africain, nous nous sentons concerné par la crise ivoirienne née du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010. Nous suivons avec beaucoup d’intérêt les développements que connaît cette crise ainsi que les nombreux débats qui en résultent.

A titre personnel, nous croyons à la vérité comme valeur fondamentale et, avec beaucoup de recul, nous pensons que les valeurs démocratiques auxquelles presque tout le monde adhère seraient dépourvues de sens si nous n’acceptions pas le verdict des urnes.

La vérité c’est que Laurent Gbagbo a perdu l’élection présidentielle du 28 novembre 2010 et ce avec un écart considérable au profit du vainqueur Alassane Ouattara qui a gagné l’élection avec plus de 54% des suffrages exprimés. Pour inverser les résultats, le président du Conseil Constitutionnel – et non le Conseil Constitutionnel (1ère irrégularité) – a dû annuler avec la vitesse d’un éclair des suffrages dans sept (7) départements situés dans le Centre-Nord de la Côte d’Ivoire acquis à Alassane Ouattara (2e irrégularité), région dans laquelle ce dernier avait d’ailleurs recueilli plus de 80% des suffrages au premier tour du scrutin présidentiel sans que personne n’eût trouvé à redire sur ce plébiscite à cette époque.

Si seulement Laurent Gbagbo avait reconnu sa défaite, beaucoup de vies perdues auraient été épargnées et la Côte d’Ivoire aurait probablement déjà été engagée vers le chemin de la réconciliation nationale et de la réunification dont elle a impérieusement besoin. Hélas, nous n’en sommes pas encore là mais nous espérons que nous y serons bientôt. L’engagement politique implique en effet un grand devoir de responsabilité sociale.

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Union Africaine (UA), l’Union Européenne (UE), l’Organisation des Nations Unies (ONU), sans compter certains pays et certaines personnalités à titre individuel, ont essayé – jusqu’à présent sans réussite hélas ! – de persuader Laurent Gbagbo d’accepter sa défaite et de quitter le pouvoir afin de trouver une issue pacifique à la crise actuelle. Nous croyons que cette quasi-unanimité se fonde avant tout sur l’exigence de transparence et de vérité que nous avons évoquée préalablement ainsi que sur la recherche de la paix.

En revanche, nous sommes étonné par les arguments avancés par certains intellectuels africains ou non africains qui défendent encore l’attitude de Laurent Gbagbo : Laurent Gbagbo est un « nationaliste » qui défend la souveraineté de la Côte d’Ivoire, « non à l’ingérence étrangère dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire », « non à l’impérialisme occidental », « non à la recolonisation de l’Afrique à travers l’ONU », « non-respect de l’autorité de la décision du Conseil Constitutionnel »…etc. Nous pensons tout simplement que tous ces arguments ne relèvent pas de la vérité. La vérité, disions-nous, c’est que Laurent Gbagbo a perdu l’élection présidentielle et tout ce qui arrive actuellement en Côte d’Ivoire découle directement du refus de Laurent Gbagbo d’accepter le verdict des urnes qui lui est clairement défavorable. Les événements confirment qu’il s’était préparé à conserver le pouvoir par tous les moyens.

Nous entendons aussi dire qu’une solution consisterait à accepter la mise en place d’un gouvernement d’union nationale à la kenyane ou à la zimbabwéenne, ce que les deux parties (Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo) ont respectivement rejeté.

La situation kenyane est différente de celle de la Côte d'Ivoire. Il n'y a pas eu de guerre ni de partition de fait du Kenya ayant précédé les élections dans ce pays. C'est la raison pour laquelle nous ne croyons pas à la solution du gouvernement d'union nationale à la kenyane en Côte d'Ivoire avec Alassane Ouattara comme Président et Laurent Gbagbo comme Premier ministre ou l’inverse. L’intensité de la crise actuelle ne favoriserait pas cette solution. Le chanteur ivoirien Alpha Blondy qui s’est prononcé – dans une vidéo qui circule sur Internet – sur la crise que traverse son pays depuis le Sénégal où il participait au Festival Mondial des Arts Nègres, confirme que les ingrédients de la crise étaient réunis avant même le résultat du second tour. En effet, il le souligne clairement dans son intervention : « quand j'ai demandé au camp de Alassane Ouattara si Gbagbo gagne les élections. Ils ont répondu il ne peut pas. Lorsque j'ai demandé au camp de Laurent Gbagbo si Ouattara gagne, ils ont répondu il va passer par où ? » Vous aurez noté la différence de ton...

Ainsi en Afrique, nous sommes en train de proposer des gouvernements d'union nationale à chaque fois que quelqu'un perd une élection ou plus exactement lorsque le président sortant perd des élections. Le problème ne se poserait d'ailleurs pas si l'opposition perd les élections, c'est le résultat auquel nous sommes plus habitués jusqu'ici.

Autant mieux cesser d'organiser des élections et instaurer des monarchies (il y a en effet des monarchies de fait dans beaucoup de pays d'Afrique et c'est cela le problème). Il convient d’ajouter que si le coup de force de Laurent Gbagbo – on ne peut pas l'appeler autrement – réussit, c'est fini pour la démocratie en Afrique d'autant plus qu'une série d'élections est programmée au cours de l'année 2011 dans notre continent.

Nous continuons de penser que l'attitude de Laurent Gbagbo depuis le second tour du scrutin présidentiel est inacceptable. Ses forces et milices, c’est-à-dire les sinistres escadrons de la mort réactivés, continuent de massacrer le peuple qu'il prétend diriger.

Certains intellectuels estiment que la victoire de Alassane Ouattara est unanimement défendue par les Occidentaux parce qu’il est le mieux à même de défendre leurs intérêts. Nous ne doutons pas un seul instant que les Occidentaux défendent leurs intérêts en Côte d’Ivoire. A cet égard, il faut dire que lorsque la France avait empêché militairement les forces rebelles de renverser Laurent Gbagbo en 2004, elle avait également agi pour protéger ses intérêts en sauvant le régime de Laurent Gbagbo. Croyons-nous sérieusement que l'Occident a besoin de ces élections pour défendre ses intérêts ? C'est ce genre de raccourci qui nous étonne surtout de la part des intellectuels les plus brillants. Il est en revanche certain que la paix et la stabilité de la Côte d’Ivoire sont essentielles pour la prospérité des Ivoiriens même si elles peuvent servir indirectement les intérêts des pays voisins de la Côte d’Ivoire et des étrangers en général.

Quant à Laurent Gbagbo le « nationaliste », le défenseur de la « souveraineté » des Etats africains, c'est le dernier argument que l'on peut nous servir. Laurent Gbagbo a détruit l'économie ivoirienne, apporté la guerre civile, exacerbé la haine tribale, tué des centaines d'Ivoiriens dont le seul tort était de ne pas être d'accord avec lui, délesté les caisses de l'Etat avec ses amis, avant de fouler au pied le résultat de l’élection présidentielle et par conséquent la volonté du peuple. C’est probablement ce bilan désastreux qui a conduit les Ivoiriens à faire un autre choix. Le nationalisme ne se limite pas seulement à un rejet circonstanciel des Occidentaux. En tous les cas, le fait de nier le verdict des urnes, c’est-à-dire la volonté populaire, ne peut pas constituer une forme de nationalisme.

Il faudrait préciser que sans l'ONU et les Occidentaux sur lesquels semble se concentrer les critiques (pour ne pas dire la démagogie) avancées par les défenseurs de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et ses partisans auraient probablement déjà été massacrés à moins d'avoir fui le pays entretemps. Il convient également de rappeler que c’est grâce au soutien de l’ONU que la prise de pouvoir en 2000 par Laurent Gbagbo dans des conditions calamiteuses (comme il l’avait souligné lui-même) avait été entérinée, et par la suite c’est toujours l’ONU qui, par l’adoption de résolutions successives, l’avait maintenu légalement au pouvoir depuis l’expiration de son premier mandat en 2005 jusqu’à la récente élection présidentielle de fin 2010 pour laquelle l’ONU a engagé des moyens financiers et humains considérables. Rappelons enfin que l’ONU est allée en Côte d’Ivoire sur la base des accords successifs signés par Laurent Gbagbo et l’ensemble des protagonistes du conflit qui a éclaté en 2002 afin d’aider à trouver une solution pacifique.

Que les pressions exercées par les Occidentaux, les institutions africaines et internationales aient rendu Laurent Gbagbo sympathique aux yeux de nombreux Africains et non-Africains peut se comprendre. En revanche, prétendre que Laurent Gbagbo a raison dans la crise qu’il a lui-même (r) allumée ou qu’il a gagné les élections est difficilement compréhensible.

D’aucuns affirment que la démocratie n’est pas une panacée en invoquant le cas de la Chine – dont le silence sur la crise ivoirienne est assourdissant – qui est un modèle de réussite économique sans démocratie. Mais en Afrique, le problème c’est que nous n'avons ni réussite économique ni démocratie sauf quelques exceptions qui se comptent sur les doigts d'une main. Commençons au moins par la démocratie qui pourrait – car ce n'est pas une condition nécessaire et suffisante – favoriser notre progrès économique et social.

D’autres proposent un référendum national pour sortir de la crise actuelle. Nous estimons que le Conseil Constitutionnel – qui a manqué de sincérité et de courage politique – aurait dû retenir cette solution de compromis au demeurant fort louable conformément à la Constitution ivoirienne en vigueur pour autant que la contestation des résultats de l’élection présidentielle par Laurent Gbagbo fût fondée. Cependant, nous ne croyons pas à la solution de reprise des élections pour plusieurs raisons :

 

(i) ce serait dénier à tort le vote et indirectement la citoyenneté – déjà mise à mal par l’ivoirité – des électeurs des départements dont les suffrages ont été purement et simplement annulés ;

 

(ii) ce serait entériner le coup de force de Laurent Gbagbo ;

 

(iii) on ne peut pas actuellement organiser sereinement des élections en Côte d'Ivoire ;

 

(iv) on risquerait de retourner à la case départ si Laurent Gbagbo refusait le verdict d’un nouveau scrutin, ce qui est fort probable ;

 

(v) cela engendrerait un coût économique considérable pour la Côte d’Ivoire qui se trouve déjà dans une situation économique difficile avec encore une fois une incertitude quant à l’acceptation du verdict des urnes.

 

On nous rétorquera qu'est-ce que nous proposons alors pour résoudre la crise actuelle en Côte d’Ivoire ? Nous répondrons humblement rien dans la mesure où il paraît difficile de réussir là où la CEDEAO, l’UA, l’UE, l’ONU et d’autres négociateurs ont échoué à trouver une solution pacifique jusqu’ici. Néanmoins, si l'on a le courage de dire la vérité au risque de se voir taxé d'être pro-occidental – il n’y a pas mal à cela si l’Occident soutient la vérité –, il faut que Laurent Gbagbo quitte le pouvoir et nous croyons qu'il finira par s'en aller pour le bien de son pays et de son peuple.

C'est peut-être naïf de le dire dans les circonstances actuelles, mais nous pensons que c’est la meilleure solution si l’on veut éviter un bain de sang dont la Côte d’Ivoire n’a nullement besoin. Il suffit que l’armée – dont tous les membres ne soutiennent pas le coup de force accompli – se ressaisisse en réalisant l’impasse dans laquelle Laurent Gbagbo conduit son pays, retire son soutien à Laurent Gbagbo et l’invite à quitter le pouvoir en lui signifiant qu’elle n’est plus capable d’assurer sa protection. Peut-être que nous sommes encore loin de cette solution mais elle n’est pas impossible. L’armée tunisienne vient tout juste de montrer que cela est tout à fait possible, il est bien vrai dans un contexte différent, à la suite d’une révolte populaire sans précédent dans ce pays et dont personne ne pouvait prévoir ni la survenance ni les conséquences il y a seulement deux mois.

Soyons clair : dire la vérité ne signifie pas être anti-Gbagbo ni défendre nécessairement Alassane Ouattara dont la gestion de la crise peut être critiquable à certains égards. De même, dire des contrevérités ou faire de la démagogie ne signifient pas soutenir Laurent Gbagbo, encore moins servir la Côte d’Ivoire.

 

Que Dieu protège la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens. Que Dieu protège l’Afrique.

Tag(s) : #Libre opinion
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