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Selon les spécialistes, le trouble post-traumatique causé par le viol consiste en de profonds dysfonctionnements: physiques, émotionnels, cognitifs, comportementaux et de la personnalité.

A la lecture des écrits sur le trauma des personnes violées, il est impossible de ne pas penser qu’en réalité le trouble post-traumatique atteint des personnes outre que les victimes réelles, voire la société entière. Le viol atteint un sens intime chez l’humain et induit des comportements divers, tous insensés à un degré ou un autre. Confrontés avec l’aberrante réalité du viol des femmes dans notre pays, les guinéens sont traversés par des sentiments divers, allant de la rage à la résignation avec des accès de culpabilité.

Le cas des victimes de viol transférées ou refugiées à Dakar continue de soulever des débats intenses et à révéler ces déchirements personnels. L’interview récente de l’une des victimes a engendré une furie de réactions qui vont, sommairement, des blâmes aux culpabilisations. Des personnes se proposent d’aider du mieux qu’elles peuvent. D’autres crient à l’irresponsabilité des dirigeants ou à la vengeance.

Ayant suivi un peu le dossier de certaines de ces femmes, je voudrais indiquer – sans prétention aucune en la matière - si la plupart des réactions sont légitimes et fort compréhensives, elles contribuent plus à renforcer le problème qu’à la cherche des solutions. Les études ont montré que les effets du viol sont de longue durée et presque impossibles à guérir. Ce dont une femme violée a besoin, c’est avant tout d’une thérapie circonstanciée d’abord et prolongée ensuite pour limiter les dégâts. L’assistance aux victimes doit au minimum être sur un volet double. L’un des volets est d’ordre médical ; l’autre est d’ordre moral et politique. Le premier volet demande de la connaissance et de l’organisation pour la recherche de sources effectives de thérapies qui du reste abondent – malheureusement – de par le monde. S’emparer du problème à titre personnel ou au nom d’une association est contreproductif. Depuis deux ans des interventions diverses en faveur des femmes violées en Guinée, au Sénégal ou ailleurs, ont été faites. J’ai été témoin d’assistance de la part de leaders politiques, de personnes individuelles, sénégalaises et autres. Les tentatives d’organiser les victimes en un collectif à Dakar ayant échoué pour des raisons qu’il faudra étudier, on réalise aujourd’hui avec amertume que faute de coordination, des victimes sont laissées en rade à l’étranger. Celles qui sont retournées en Guinée sont tombées dans les trappes de l’oubli. En ce lieu donc la bonne volonté seule ne suffit point. Tout comme il est stérile de battre sa coulpe.

Nul ne peut s’improviser médecin, encore moins spécialiste de traumatismes à la croisée des atteintes physiques, des destructions de l’intimité et de la moralité de base d’un individu. Nul en outre ne peut parler au nom et à la place des victimes mieux qu’elles ne pourraient le faire. Il est donc impératif de les assister à s’organiser en un ou plusieurs collectifs, à leur restituer la voix et à les aider à explorer leurs propres solutions. L’humilité de la part ceux qui se proposent d’aider doit être de règle. Le paternalisme véhément devient vite suspect aux yeux des victimes et des observateurs. A son insu très souvent, il infantilise les victimes, les transforme en enjeux de disputes politiques et en objets de marchandages. Les associations de la société civile, les partis politiques, les ONG internationales se doivent d’être uniquement des facilitateurs dans l’effort d’organisation des victimes pour leur propre rédemption. Les dons et l’assistance doivent être orientés vers cet objectif. Les thérapies dont les victimes ont besoin doivent être déterminées par organismes spécialisés dont leurs collectifs doivent être l’interlocuteur. Ces collectifs doivent centraliser et coordonner les actions qui jusque là ont été dispersées. Ils devront gérer dans le long terme les besoins et les programmes de traitements et offrir des garanties de bonne comptabilité des ressources reçues.

Il restera toujours l’aspect moral et politique du viol des femmes par les forces de sécurité de notre pays. Le combat à ce niveau doit plus que jamais s’intensifier. Ce combat qui embrasse du reste tous les aspects de la vie en Guinée, aura à son centre - encore une fois - les victimes qui doivent renforcer leurs collectifs et leurs associations pour le rendre effectif. L’humiliation des victimes est l’une des spécificités de la violence d’état en Guinée. Il en résulte pour les victimes une tendance à se replier sur elles-mêmes, à se blâmer (surtout quand les violences touchent au tabou sexuel) ou à chercher des boucs émissaires parmi les proches. La violence d’état aura ainsi ébranlé fortement les structures sociales du pays. Seule une lutte ouverte, organisée et sans relâche contre le cancer de l’impunité permettra de curer ces traumas psychologiques, briser ces tabous et reconstruire le tissu social. Cette lutte est ainsi un absolu moral. Elle est une nécessité sociale, une condition sine qua non et un préalable non négociable à toute élection transparente et à toute préservation de la paix civile. Elle ne doit pas être détournée ni par la propagande de la réconciliation, ni par les slogans fallacieux de « finalisation » d’une transition souillée de toute part par des crimes.

Ourouro Bah

Tag(s) : #Libre opinion
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