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Sékou-père independ-683-4L’ambassade de Guinée à Washington en « collaboration » avec « la communauté guinéenne »  s’est fendue d’un communiqué pour inviter les guinéens à la célébration du 2 Octobre qu’elle veut organiser en différé les 5 et 6 du mois. Le ton, la forme et le fond du communiqué ont un goût d’insipide, de ridicule et de tragique.  Le communiqué veut maladroitement masquer les déceptions qui désormais emplissent le  cocon de la nation en faillite.  L’appel du pied aux investisseurs est fait de platitudes qui rappellent que la Guinée est située sur la côte atlantique de l’Afrique de l’Ouest avec sa superficie, ses quatre régions naturelles et sa  population. Le ton peu convaincu est un aveu d’impuissance, de lassitude et de désarroi de l’ambassade - pour parler diplomatiquement - sur le navire en perdition qu’est la Guinée et qu’elle se croit obliger de représenter. Le rappel lapidaire  sur le choix du 28 Septembre 1958 qui libera la Guinée du joug colonial ne dissimule plus que ce fut l’entrée dans l’ère du totalitarisme sanguinaire du PDG dont le pays ne se remet pas encore. La rengaine sur les potentialités naturelles du pays n’est plus qu’une chanson amère mais une conjuration désabusée sur la réalité blessante  que les promesses et illusions d’il y a 54 ans ont accouchée.

Le destin c’est là où tu es né et  là où tu mourras nous ont appris les sages. La douleur et les joies qui emplissent le temps qui sépare ces deux endroits est ce qu’on appelle une vie ; un processus fait de choix, d’acceptations et de questionnements, nous ont-ils enseigné aussi. Le communiqué sur le 54eme anniversaire ne pouvait donc ne pas réveiller en moi cet amas de sentiments de  compassion sur la terre des ancêtres, d’élucidations de cette étape milliaire de mon pays et donc mon destin. Quelle signification apporter à ce nouvel anniversaire ? Les circonstances se prêtent-elles réellement à la célébration. N’eut-il pas fallu en cette 54eme année marquer une pause ? Pleurer ou réprimer les larmes? Faire un jeun pour se repentir ?  Avoir une journée de prière pour les victimes ? Confectionner des poèmes pour les occasions ratées ? Murmurer des chansons sur les rêves brisés ? Faire l’inventaire des promesses non-tenues, des mensonges pour tromper et diviser ?  Tenir le catalogue des biens pillés, des vies brisées et des voleurs non-inquiétés ? Cela ne serait-il pas  mieux approprié ?  

Le passage des années est une occasion pour se remémorer. Dans la brume des complots qui ternit la croissance tronquée de mon pays, de 1957 à 2012, je me rappelle de beaucoup de choses. Aucune  n’est cause pour célébration. Je ne sais toujours pas pourquoi la patience divine et la léthargie des hommes font que  jamais un tortionnaire n’a eu à répondre de  ses crimes sur cette partie de la terre.  Je passe sur les provocations de miliciens rachitiques parcourant des jours diaphanes de slogans et de propagande. Je me souviens d’ignobles apparatchiks à la moralité épaisse, dressés pour provoquer et spolier des commerçants et des paysans ; agents du banditisme pseudo-révolutionnaire avec pour vocation de souiller des filles à peine pubères et porter atteinte aux habitacles des amours et des familles. Les jours des pendus, des fusillés, des insultes à mon ethnie, des femmes interdites de deuil, de saccages de biens sont gravés dans une longue et lancinante nuit suivie des aubes de désarrois.  On a beau jeu de le  dissimuler,  ce passé est ce qu’il est. Il est fait de destructions. Il est marqué par les sentiers des fusillés aux frontières, de l’absence indélébile des disparus, de manques perpétuels de biens de première nécessité, de peurs distillées à la place du pain ou du riz. C’est un passee de regrets, d’une chaine des promesses non tenues pour dompter la patience du  peuple. Le paradis de la bauxite n’est au rendez-vous qu’avec des bandits en col blanc et en jets privés. Les innombrables chutes d’eau n’ont pas produit les inépuisables sources d’électricité dont on nous remplit les oreilles depuis l’indépendance. L’agriculture sur les monticules et les rivières du Sud ou les élevages des pasteurs ancestraux entretiennent la survie dans l’incertitude. L’éducation sabotée pour créer des vies sans avenir, la complaisance envers les corrompus et les tueurs, le déni de justice aux victimes, l’insolence des criminels en liberté, tout cela se querelle dans nos esprits entre une nostalgie pour quelque chose de simple, un désir de prier sans fin  et une envie de tout brûler.

 Par millions nous  fumes contraints à l’exil. Sur les terres étrangères  nous nous interrogeons, nous comparons, nous jugeons pour ne pas pleurer en public  la ruine inexorable de la patrie. Mais aussi cette cruelle acuité que même le retour  ne pourra curer. Celle de la perte des havres  de  l’enfance, des années d’adolescence  qui étaient supposées être les plus heureuses de la vie. D’où  il ne reste  que les traces des souillures, des mensonges et des crimes  du parti-état et de ses  héritiers.  

Un jour peut-être je saurai briser le destin pour  séparer mon être du devenir hasardeux d’une nation égarée.  En attendant, la décence interdit de danser ou de déguster du poulet braisé pendant que des orphelins et les parents questionnent l’emplacement des fosses communes, pendant que des femmes violées attendent, pendant que des innocents croupissent dans les geôles de l’état et que les tueurs se pavanent dans la boue des quartiers de choléra, de tuberculose, de drogues et de manque d’espérances.  

Ourouro Bah

Tag(s) : #Libre opinion
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