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Dans un entretien à "Jeune Afrique", la ministre française de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, Christine Lagarde, fait le point sur les dossiers chauds du prochain sommet de la zone franc, initialement prévu le 20 avril à N’Djamena, mais reporté pour cause de paralysie du trafic aérien dû au nuage de cendres du volcan islandais.

Détournement de 24 millions d’euros à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac), réformes de fond de l’institution, contestation de la parité entre l’euro et le franc CFA et de l’obligation de dépôt des avoirs africains auprès du Trésor français, difficultés à développer les échanges régionaux en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, nécessité d’adopter des mécanismes internationaux de régulation des prix des matières premières, élection en Côte d’Ivoire… La ministre Christine Lagarde, 54 ans, aborde tous les sujets qui seront abordés lors du prochain sommet de la zone franc.

Jeune Afrique : Dans quel contexte économique va se tenir le prochain sommet de la zone franc ?

Christine Lagarde : Nous sommes tous entrés dans l’après-récession puisque nous retrouvons des croissances positives. Comme dans tous les pays du monde, les économies des deux zones, Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, ont subi les conséquences de la crise économique. Mais si leur croissance a été divisée par trois en général, elle n’a pas été négative comme chez nous. L’espoir, c’est que courant 2010 et 2011 nous revenions vers des niveaux d’avant-crise, de 3 % à 4 % de croissance pour la plupart des pays africains. Je suis raisonnablement optimiste pour les pays en développement, et en particulier pour ceux qui bénéficient de matières premières, à condition qu’ils soient raisonnables dans leur gestion.

Concrètement, viendrez-vous avec des messages précis ?

J’ai deux objectifs économiques et financiers. D’une part, encourager l’intégration régionale, dont j’aimerais évoquer les progrès. Une zone monétaire, c’est bien. Une zone économique régionale avec de véritables échanges, c’est encore mieux. Je soutiendrai les initiatives dans ce domaine. D’autre part, le sommet a lieu juste avant les assemblées générales de printemps du FMI et de la Banque mondiale, et le G20 finance. Des sujets comme la stabilité des prix des matières premières ou les équilibres monétaires entre les zones concernent mes collègues, et je peux essayer de porter certaines de leurs demandes.

Nous entrons dans une période de rareté sur certaines matières premières. Dans ce contexte, je pense que les pays d’Afrique et les pays à zone monétaire stabilisée ont une carte à jouer s’ils trouvent ensemble la capacité de juguler les risques de volatilité et d’instabilité. Je ferai des propositions au niveau européen, et j’en dirai un mot à mes collègues de la zone.

Des événements peuvent-ils amplifier ou ralentir le retour à la croissance ?

La Coupe du monde. Pour l’Afrique anglophone – en l’espèce l’Afrique du Sud –, c’est un élément accélérateur. On ne sait pas exactement si c’est 0,5 % ou 0,7 % de points de PIB supplémentaires qui résultent de ces grands événements internationaux, mais c’est une réalité.

Ce qui accroîtra l’écart de croissance entre l’Afrique francophone et anglophone. Comment l’expliquez-vous ?

Des études de la Banque mondiale, dont le rapport « Doing Business », présentent invariablement les mêmes conclusions depuis des années : la difficulté à constituer des sociétés, le manque de transparence, le volume des formalités sont constitutifs d’une moindre croissance. Or ces caractéristiques se retrouvent souvent dans la zone franc. Et le potentiel de croissance de ces pays peut être justement relevé par une dynamique d’intégration économique régionale. Chaque année, la France appuie directement les programmes régionaux en apportant 20 millions d’euros à chacune des deux zones. C’est un sujet que nous évoquerons à N’Djamena. Comment attirer plus de bailleurs de fonds, plus de partenaires à l’échelon régional. Nous demanderons aussi à nos partenaires quels sont les obstacles techniques à lever pour la pleine réussite de ces projets.

Le franc CFA n’y est donc pour rien ? Comment réagissez-vous à la déclaration récente d’Abdoulaye Wade, qui en conteste la gestion ?

Ce n’est pas une déclaration d’hostilité du président du Sénégal, mais il a déjà dit des choses semblables par le passé. Je comprends qu’elle prenne plus de volume et de relief dans le cadre de la célébration de l’indépendance du pays. D’abord la question du franc CFA doit être décidée entre les pays concernés. Ce que j’observe, c’est qu’en termes d’inflation, de croissance économique, de stabilité, cela n’a pas été nuisible aux pays de la zone franc d’être dans un système accroché à l’euro. Pendant la crise, l’euro a démontré sa solidité.

Les pays Africains commercent avec de plus en plus de pays, à commencer par la Chine. Ne serait-il pas judicieux d’arrimer le franc CFA à un panier de devises ?

La zone a évolué au fil du temps. Ce n’est pas un point de dogme, mais, je l’ai dit, ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non. S’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C’est aux États concernés de prendre leurs responsabilités.

On entend des arguments contradictoires sur l’obligation de dépôt des avoirs des Banques centrales auprès du Trésor français. Où en est-on ?

Historiquement, l’obligation était de 65 %. Elle est de 50 % pour les deux zones économiques depuis 2005. Ce n’est pas juste pour le plaisir d’avoir des réserves que l’on nous demande de les conserver et de les gérer en France. En contrepartie, il y a une garantie de convertibilité que l’on accepte d’honorer. Elle a joué entre 2000 et 2001, et elle a coûté 300 millions d’euros à la France.

Pourtant, les banques centrales placent leurs avoirs auprès du Trésor au-delà du seuil des 50 %. Pourquoi ?

Parce qu’elles ne sont pas mécontentes du placement ! La rémunération est très attractive [le meilleur taux en vigueur de la Banque centrale européenne est appliqué, NDLR]. Détenir ces réserves nous engage même à servir une rémunération plus favorable que celle de la BCE pour les placements à court terme. La Banque des États de l’Afrique Centrale place par exemple près de 90 % de ses avoirs auprès du Trésor français. Si les dirigeants de la Banque centrale le font, c’est qu’ils y ont un intérêt et que l’affaire n’est pas si mauvaise.

La Beac, justement. Fin 2009 éclatait un scandale, avec la révélation par Jeune Afrique de malversations depuis le bureau parisien de la Banque centrale. On dit que la France savait et n’a rien fait, pourquoi ?

Je le dis en conscience, je n’étais pas informée de ces agissements. Je l’ai été par notre administrateur à la Beac début août 2009. À partir de là, nous avons pris toutes les dispositions. Nous avons demandé que les équipes soient démises de leurs fonctions, qu’un audit soit mené, que les commissaires aux comptes soient mis en cause. Une plainte de la Beac a été instruite par le parquet de Paris. Il a conclu en février dernier que les agissements n’étaient pas « sanctionnables » sur le territoire français, donc ne relevaient pas des juridictions pénales ou civiles françaises. Un certain nombre d’informations ont été transmises à la justice gabonaise, devant laquelle l’affaire est toujours en cours d’instruction. Donc je ne vais pas faire plus de commentaires sur le traitement de cette affaire, mais, clairement, cela suit son cours, et puis l’ensemble du personnel de la Beac a été totalement remanié. J’attends de comprendre comment 24 millions d’euros ont été détournés et comment ces décisions de gestion franchement malheureuses ont été prises.

Où en sont les audits et les mesures annoncés pour réformer la Beac ?

Cela fait partie des sujets dont nous débattrons à N’Djamena. Un plan d’action avec des réformes précises (plafonds de signature, doubles signatures, différenciation entre gestion et contrôle, mise en responsabilité des commissaires aux comptes…) a été validé par un conseil d’administration à la fin de 2009. Nous l’avons approuvé, et il est actuellement mis en œuvre. Nous serons très vigilants dans son application. Et il y a par ailleurs les travaux demandés par les chefs d’État de la Cemac, à Bangui en début d’année. Ils portent sur l’évolution des statuts de la Banque centrale. Un groupe de travail s’est réuni, et le conseil d’administration examine actuellement les propositions en matière de gouvernance et d’équilibre au sein de l’institution.

À quelle échéance ces réformes seront-elles bouclées ?

Il faut que d’ici à la fin de l’année 2010 tout soit terminé.

Que pensez-vous du principe de rotation à la tête des institutions de la Cemac ?

Indispensable. Même avec la vertu chevillée au corps et beaucoup de bonne volonté, les habitudes et la routine sont de très, très mauvais conseil.

Avez-vous été désavouée par la nomination de l’Équato-Guinéen Lucas Abaga Nchama comme gouverneur de la Beac ? On dit que le candidat de la France était le Gabonais Hugues Alexandre Barro Chambrier.

L’histoire de ce point de vue-là n’a aucune incidence. Ce qui est important, c’est la manière dont le nouveau gouverneur s’acquittera de ses fonctions.

Sur le modèle ouest-africain, un organigramme allégé est envisagé avec la suppression de la douzaine de directeurs généraux et territoriaux de la Beac. L’approuvez-vous ?

On n’a rien à gagner à la dispersion des responsabilités. Quand il y a plein de responsables, il n’y a pas de responsables. Si on me demande mon avis, une direction plus resserrée est plus souhaitable. Je le dirai à N’Djamena, je n’ai pas l’habitude de garder ma langue dans ma poche. Mon souci sur cette question est le retour à la vigilance, à la responsabilité, à la séparation des pouvoirs entre l’engagement financier et le contrôle, à des mécanismes de rotation réguliers, et à une direction resserrée et responsable.

À propos de certains pays de la zone franc, le retrait de la France de ses bases militaires au Sénégal a-t-il un coût ? Qui paiera ?

Des négociations sont en cours. C’est Hervé Morin, mon collègue de la Défense, qui les mène.

En substance, Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, a conditionné les aides à la tenue de l’élection en Côte d’Ivoire. La France est-elle sur cette ligne ?

Aujourd’hui je ne saurais pas répondre. Cette décision relèverait d’une discussion avec le ministère des Affaires étrangères et le président de la République. Mais je constate que depuis cinq ans on passe de date limite en date limite. Lorsque le travail de recensement a été réalisé, il y a un moment où il faut peut-être aller jusqu’au bout. Non ?

Source: JA

Tag(s) : #Interview
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