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Partisans de la souveraineté nationale contre défenseurs du vote-avant-tout... Rares sont ceux qui, sur le continent, ne prennent pas position dans la crise postélectorale ivoirienne.

Gbagbo ou Ouattara ? Deux mois après le début de la crise postélectorale, rares sont les intellectuels africains qui restent neutres.

« Je suis assailli, comme bien d’autres personnalités noires plus ou moins médiatisées, d’interpellations africaines m’intimant de prendre position pour le “digne frère” qui a dit “non” à la communauté internationale », confiait dès la fin de décembre l’écrivain français Gaston Kelman, né à Douala. Comme en Europe pendant la guerre d’Espagne…

Principal argument en faveur de Gbagbo : la souveraineté nationale.

« Je ne crois pas en l’ONU, ce minuscule club d’États riches, où aucun pays d’Afrique ne siège au Conseil de sécurité », déclare Calixthe Beyala, la romancière française d’origine camerounaise. La cible ? Les États-Unis et, surtout, la France. « Nicolas Sarkozy veut nous faire “entrer dans l’Histoire” en usant du plus primitif de tous les droits, celui de la force », lâche le Sénégalais Pierre Sané, ancien secrétaire général d’Amnesty International.

Son compatriote, l’ex-ministre de la culture Makhily Gassama, soupçonne la communauté internationale d’avoir des « agendas cachés ». Et Aminata Traoré, l’altermondialiste malienne, lance : « La Cedeao va-t-elle assumer le rôle de bras armé de l’impérialisme ? »

Achille Mbembe et Célestin Monga n’y vont pas par quatre chemins. Pour les deux essayistes camerounais, une intervention militaire en Côte d’Ivoire serait une forme de recolonisation du continent : « Le droit d’ingérence est une perversion du droit […] L’équivalent du droit de conquête et d’occupation, qui, au temps de la colonisation, justifiait l’asservissement des “races inférieures”. » Mbembe et Monga disent ne pas savoir qui a gagné, le 28 novembre en Côte d’Ivoire.

Tierno Monénembo, lui, « ne conteste pas » l’élection d’Alassane Ouattara. Mais l’écrivain guinéen ajoute aussitôt : « Ce raffut fait autour de Ouattara est tel qu’il en devient suspect. […] Si les grands de ce monde sont devenus aussi vertueux qu’ils le prétendent, pourquoi ne vont-ils pas fouiller dans les cuisines électorales du Burkina, de la Tunisie ou de l’Égypte ? Sont-ils sûrs que les dynasties présidentielles du Gabon et du Togo sont sorties de la vérité des urnes ? »

Irresponsable

À la souveraineté nationale, d’autres grandes voix du continent opposent la souveraineté du vote.

« Les leaders africains sont incapables de quitter le pouvoir et de respecter le verdict des urnes », se désole le Prix Nobel de littérature 1986, le Nigérian Wole Soyinka. « Il serait totalement irresponsable de laisser cette jurisprudence prospérer, parce qu’en réalité il n’y aura plus de crédibilité en matière d’élection sur ce continent », avertit Alioune Tine, le président sénégalais de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho).

Et à Washington, le responsable Afrique du National Democratic Institute (NDI), le Camerounais Christopher Fomunyoh, a cette formule : « Si la Côte d’Ivoire ne sort pas de cette crise proprement, partout en Afrique les démocrates n’auront plus qu’à rentrer à la maison. »

Les défenseurs du vote-avant-tout attaquent leurs adversaires sur leur terrain, la lutte contre le néocolonialisme. « C’est une rhétorique de diversion », lâchent le Sénégalais Mamadou Diouf, le Béninois Paulin Hountondji et le Congolais Elikia M’Bokolo, dans une tribune cosignée avec une trentaine d’universitaires américains et européens et publiée dans Le Monde sous le titre : « Laurent Gbagbo, chef ethno­centriste ».

Après la décision pro-Gbagbo du Conseil constitutionnel d’Abidjan, Gilles Yabi, directeur Afrique de l’Ouest d’International Crisis Group, interpelle le président sortant et ses amis par ces mots : « Est-ce en faisant prononcer des décisions ridicules par la plus haute juridiction de leur pays qu’ils feront respecter les institutions des États africains souverains par les donneurs de leçons de l’Occident ? » Et d’ajouter :

« Capable de refuser de prendre l’appel téléphonique de Barack Obama, Laurent Gbagbo a définitivement prouvé au monde qu’il était “garçon”.

[…] Faut-il vraiment plomber l’avenir de millions de personnes juste pour gagner une place au panthéon des héros des luttes africaines ? »

Quant à Venance Konan, il file la métaphore :

« Il n’y a pas de France ou de Françafrique dans cette affaire. Chercher des poux dans les cheveux de la France, c’est montrer du doigt un sorcier lorsqu’un homme ivre se tue au volant de sa voiture. »

  Puis l’écrivain ivoirien se lâche : « Ce qui se passe en Côte d’Ivoire est tout simplement une tentative de braquage de la démocratie. […] Et ce sont nos intellectuels africains et panafricanistes de Paris qui prennent la défense de cet assassin. Pincez-moi, je rêve ! »

Quelques jours après cette tribune, l’auteur a dû se réfugier en Europe. 

Jeune Afrique

 

Tag(s) : #Culture
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