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aboubacry-moussa-lam.JPG[..]Il est triste de constater que 35 ans après le « complot peul » de 1976 la Guinée renoue avec ses vieux démons et que des innocents risquent leur tête si rien n’est fait pour arrêter la main des pouvoiristes qui les accusent.

Cependant une analyse froide de l’enchaînement des événements depuis le premier tour de l’élection présidentielle pourrait aider à comprendre le retour du syndrome peul.

Sur les 24 candidats retenus par la Cour suprême de Guinée, 5 sont des Peuls. Si le nombre de candidats devait être proportionnel au poids du groupe, les Peuls auraient eu 9,6 candidats ; ce qui est loin des 5 effectivement retenus. Cependant pour certains Guinéens, surtout des Malinkés, 2ème groupe ethnique après les Peuls, ce nombre est déjà alarmant. Les choses deviennent encore plus alarmantes quand, après d’interminables tergiversations, Cellou Dalein Diallo (un Peul) est proclamé vainqueur du premier tour avec 43,69% contre 18,25% pour Alpha Condé, le candidat qui porte l’espoir des Malinkés. Le ralliement de Sidya Touré arrivé 3ème avec 13,02% et celui d’autres candidats significatifs est vécu comme un séisme politique par tous les Malinkés. En effet, cela signifie qu’une partie de la classe politique guinéenne a vaincu la méfiance savamment entretenue par Sékou Touré à l’égard des Peuls et qu’il y avait donc de fortes chances pour qu’un Peul dirige enfin la Guinée.

A partir de ce moment, la stratégie d’Alpha Condé est claire : il faut tout faire pour éviter une telle « catastrophe ». Il durcit le discours ethniciste et ses partisans sèment la terreur surtout en Haute Guinée, son fief, et à Conakry où les Peuls sont fortement présents. Il est aidé en cela par la passivité des forces de l’ordre qui laissent faire ou apportent parfois même leur complicité active. Ici tous les faits observables laissent deviner une collusion entre le Général Sékouba Konaté qui assurait la transition et le nouveau président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), un général malien (le général d’aviation Siaka Toumani Sangaré initialement envoyé par l’OIF pour superviser le processus électoral guinéen). Tout laisse croire que leur appartenance au groupe Mandé les inclinait à se ranger du côté d’Alpha Condé.

 Le second tour se tient enfin le 7 novembre 2010 après de nombreux cas de violences et de multiples tractations. Il est fort probable que ce sont les effets combinés de la terreur infligée aux partisans de Cellou Dalein et les tripatouillages des résultats orchestrés par les acteurs de la transition dont le Premier ministre Jean-Marie Doré et les deux généraux cités ci-dessus qui ont abouti au renversement de situation spectaculaire auquel aboutit le second tour de la présidentielle. En effet, déjouant les prévisions arithmétiques, Alpha Condé obtient finalement 52,52% des suffrages contre 47,48% pour Cellou. Ce sont là les résultats définitifs proclamés par la Cour suprême dans la nuit du 2 au 3 décembre 2010. (Pour plus de détails, voir le rapport final de la Fondation Carter sur les élections guinéennes) http://www.cartercenter.org/resources/pdfs/news/peace_publications/election_reports/guinea-2010-FinalReport-fr.pdf.

Cellou Dalein Diallo fit des recours contre des irrégularités et des annulations qui lui étaient défavorables mais en vain car tout semblait contre lui. Faisant preuve de maturité et mettant en avant l’intérêt supérieur de la Guinée, il appela ses partisans au calme et reconnut la victoire d’Alpha Condé. Cependant, tous les observateurs avertis savaient que cette victoire était loin d’être incontestable vu l’avance qu’avait Cellou au premier tour ainsi que les multiples irrégularités dont elle était entachée.

 

La présidentielle pliée, restaient les législatives que devait organiser le nouveau président dans les meilleurs délais pour compléter les institutions démocratiques du pays. Mais le constat est que le président multiplie depuis des obstacles pour retarder les législatives. Tous les actes qu’il pose vont dans ce sens. Aujourd’hui, après deux ans et demi de tergiversations et de répressions, même les observateurs les moins perspicaces ont fini par comprendre que le « Professeur » a choisi de tourner le dos aux obligations de sa fonction : organiser les élections législatives sans arrière pensée. Malgré sa prétendue victoire de 52,52%, il sait qu’il ne peut pas l’emporter aux législatives si l’opposition reste soudée derrière Cellou Dalein Diallo et si le vote est transparent. En effet celui-ci a entre temps gagné l’estime de beaucoup de Guinéens par son attitude responsable. A 58 ans (contre 72 à Alpha Condé) il avait donc toutes les chances d’imposer la cohabitation à Condé et de se positionner comme son successeur. Cette perspective cauchemardesque va pousser le « Professeur » à remettre au goût du jour le machiavélisme à la Sékou Touré. Il va donc s’attacher à :

Affaiblir l’opposition par tous les moyens possibles et imaginables parmi lesquels l’usage excessif de la force qui se traduit par des tirs à balles réelles sur les manifestants de l’opposition ;

Créer les conditions d’opacité du processus électoral pour rééditer son hold-up de la présidentielle. C’est ce qui explique son refus obstiné du vote des Guinéens de la diaspora (que permet pourtant la constitution) parmi lesquels les Peuls sont majoritaires. Majorité qui se comprend parce qu’ils ont été les plus persécutés par Sékou Touré. C’est ce qui explique également le bras de fer avec l’opposition autour du fichier électoral dont il veut faire une chasse gardée pour pouvoir le manipuler à saguise.

Quoi de plus efficace qu’un bon « complot peul » à la Sékou Touré pour affaiblir le groupe le plus dangereux pour son pouvoir, c’est-à-dire le groupe peul ? Vite pensé, vite fait : une simulation d’attaque de la résidence privée du président fut donc « montée » comme du temps de Sékou Touré, des aveux extorqués par voie de torture et un procès organisé, le tout sous la conduite du « Professeur » qui tire les ficelles à distance. Honte au « Professeur » qui se montre sous sa véritable nature, celle d’un homme sans éthique, doublé d’un apprenti dictateur sans scrupules, qui n’hésite pas à recourir aux abominables méthodes de Sékou Touré pour parvenir à ses fins.

Mais le « Professeur » est le seul à croire encore au « complot peul » : les Guinéens qui ont beaucoup mûri ne jettent plus l’anathème sur leurs concitoyens peuls ou affichent une indifférence prudente comme du temps de Sékou Touré ; au contraire depuis qu’Alpha Condé est au pouvoir, c’est un peuple uni qui brave sa soldatesque partout en Guinée.

Cependant comme il n’y a pas pire aveugle que celui qui ne veut rien voir, il est grand temps, pour éviter que des innocents soient exécutés ou injustement emprisonnés mais aussi pour sortir les populations guinéennes des griffes de ce Professeur ès dictature, que toutes les voix s’élèvent pour faire comprendre à Alpha Condé qu’il y a des pratiques d’un autre âge que le monde n’est plus prêt à laisser faire.

Cela doit commencer par ses pairs qui, au lieu d’aller à l’Africa Hall, leur fief, pour invectiver injustement la CPI, feraient mieux de laver le linge sale en famille en disant leurs quatre vérités à tous ceux d’entre eux qui, pour le pouvoir, sont prêts à martyriser mille fois leurs peuples. La CPI ne doit surtout pas desserrer l’étau car la perspective d’être un jour traîné devant le tribunal de La Haye peut avoir un effet dissuasif pour les bourreaux potentiels de leurs peuples.

La CEDEAO doit mettre Condé en quarantaine ; les organisations telles que la RADDHO, Human Rights Watch, etc. doivent élever la voix avant qu’il ne soit trop tard.

Les pays bailleurs de fonds de la Guinée doivent dépasser la simple suspension de leur aide et prendre des sanctions du genre de celles prises quand leurs intérêts stratégiques sont en jeu.

Quant au « Professeur », qu’il sache qu’il a déjà gravement terni ce titre qu’il est si fier de porter mais qui suppose une droiture, une hauteur de vue et une exemplarité largement au-dessus de la moyenne. Je lui demanderai surtout, et sans attendre d’éventuelles pressions, de mettre fin à cette parodie de procès, d’organiser enfin des législatives transparentes et d’en accepter le résultat quel qu’il soit. C’est à ce prix seulement qu’il pourra espérer porter de nouveau dignement le titre de Professeur !

Si nous n’aidons pas, par nos protestations et pressions sur Alpha Condé, la Guinée à traiter la gangrène du pouvoirisme aux relents ethnocentristes qui la ronge depuis Sékou Touré par l’organisation de législatives « propres », les prochaines présidentielles risquent de la plonger dans une spirale de violence dont les conséquences ne peuvent être que catastrophiques et pourraient aller jusqu’à menacer son existence même.

En Côte-d’Ivoire nous avons laissé prospérer « l’ivoirité », une idéologie fondée sur l’exclusion, la négation des droits d’une catégorie d’Ivoiriens essentiellement originaires du nord du pays ; nous avons tous vu où cela a fini : une plaie béante qui mettra du temps, beaucoup de temps, à cicatriser. Avons-nous le droit de laisser la Guinée sombrer dans un désastre similaire ? Il est temps que les Africains se mobilisent pour que de tels drames cessent enfin sur l’ensemble de leur continent.

Pr Aboubacry Moussa LAM

Université Cheikh Anta Diop

Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Département d’histoire

 

L'auteur

Études supérieures à Dakar (Université de Dakar) et en France (Paris-La Sorbonne), Docteur d'État ès Lettres et Sciences humaines.

Domaines de spécialité: Histoire, Égyptologie

Aboubacry Moussa LAM a reçu sa formation d'historien et d'égyptologue à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD, Sénégal) et à celle de Paris Sorbonne (Paris IV).

Disciple de Cheikh Anta Diop dont il fut l'assistant entre 1981 et 1986, il consacre l'essentiel de ses activités d'enseignement et de recherche aux relations entre l'Égypte ancienne et l'Afrique Noire.

Aboubacry Moussa Lam est actuellement Professeur titulaire au Département d'Histoire de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l'UCAD,  il collabore à Ankh revue d'Egyptologie et des civilisations Africaines.

 

Bibliographie:


De l'origine égyptienne des Peuls, Paris, Présence Africaine/Khepera, 1993

Le Sahara ou la vallée du Nil ?, Dakar, IFAN/Khepera, 1994

Les Chemins du Nil, Paris, Présence Africaine/Khepera, 1997

L’affaire des momies royales. La vérité sur la reine Ahmès-Nefertari, Paris, Khepera/Présence Africaine, 2000.

L’unité culturelle égypto-africaine à travers les formes et les fonctions de l’appui-tête, Dakar, Presses Universitaires de Dakar, 2003.

La vallée du Nil - Berceau de l'unité culturelle de l'Afrique noire, Khepera/Presses Universitaires de Dakar, 2006.

 

Ouvrages écrits en pulaar :

 

Paalel Njuumri, Dakar, Editions Papyrus-GIE, 2000.

Sawru Ganndal, Dakar, Editions Papyrus Afrique, 2005.

 

Lire le texte complet sur:  

https://www.dropbox.com/s/nev1y1lmyem3tcl/LE-complot-peulh-sauvons%20la%20guinee.docx

Tag(s) : #Analyse
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